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Le droit du travail français sera bientôt conforme au droit européen sur la question de l’acquisition des congés payés en cas d’arrêt maladie. Une première étape a été franchie avec l’adoption en première lecture le 18 mars 2024, par l’Assemblée nationale, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE), qui intègre l’amendement du gouvernement modifiant le code du travail. Le texte pourrait être définitivement adopté fin avril-début mai, après un passage en commission mixte paritaire.

Du code du travail actuel à l’amendement adopté

Actuellement, le code du travail ne permet pas au salarié d’acquérir des congés payés durant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle (dit « arrêt maladie »). Par ailleurs, il limite l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle (AT/MP) à la première année d’arrêt de travail (c. trav. art. L. 3141-5).

On sait depuis des années que ces dispositions du code du travail ne sont pas conformes au droit européen et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJJUE). In fine, la Cour de cassation les avait « censurées » dans ses fameux arrêts du 13 septembre 2023 (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 FPBR ; cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17638 FPBR ; voir notre actu du 14/09/2023, « Acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie ou AT/MP : la révolution annoncée de la Cour de cassation »).

Après ces arrêts, le gouvernement avait annoncé une mise en conformité du droit du travail français et le 13 mars 2024, un projet d’amendement législatif a été soumis pour avis au Conseil d’État (voir notre actu du 14/03/2024, « Congés payés et arrêt maladie : ce que dit le Conseil d’État sur le projet d’amendement du gouvernement »).

Ensuite intégré au projet de loi DDADUE, cet amendement qui modifie le code du travail a été validé par les députés lors de l’adoption du texte en première lecture « Assemblée nationale » le 18 mars 2024.

Acquisition de congés payés durant un arrêt de travail : les nouvelles règles envisagées

Arrêt maladie : 2 jours ouvrables par mois, avec un maximum de 24 jours par an. – L’amendement modifie l’article L. 3141-5 du code du travail en permettant l’acquisition de congés payés durant un arrêt maladie (par assimilation à du travail effectif).

Cependant, alors qu’en principe, 1 mois de travail effectif ou assimilé donne droit à 2,5 jours ouvrables de CP, 1 mois d’arrêt maladie ne donnerait droit qu’à 2 jours ouvrables de CP (soit un différentiel de 20 %).

En cas d’arrêt maladie sur toute l’année de référence, le salarié acquerrait donc au maximum 24 jours ouvrables de CP, soit 4 semaines de congés payés (les 4 semaines minimales garanties par le droit européen). Le salarié ne bénéficierait donc pas de la 5e semaine de congés payés.

Dans le cas où le salarié ne serait en arrêt maladie qu’une partie de l’année de référence, par exemple pendant 4 mois, il faudrait applique deux règles de calcul d’acquisition de CP.

Exemple : sur la période d’acquisition de référence, un salarié est malade pendant l’équivalent de 4 mois. Les droits à congés payés acquis se calculent comme suit, en combinant les deux règles :

d’une part, la règle « classique », avec l’acquisition de 2,5 jours ouvrables de CP par mois de travail effectif, soit ici 2,5 x 8 = 20 jours ouvrables ;

d’autre part, la nouvelle règle, avec l’acquisition de 2 jours ouvrables de CP par mois d’arrêt maladie, soit ici 2 x 4 = 8 jours ouvrables ;

soit un total de 28 jours ouvrables de CP (contre 30 jours ouvrables de CP si le salarié avait travaillé toute l’année de référence).

Le projet de loi ne modifie pas les règles d’équivalence favorables aux salariés prévues par le code du travail (4 semaines de travail ou assimilé = 1 mois, 24 jours ouvrables = 1 mois, etc. ; c. trav. art. L. 3141-4). Entre autres conséquences, elles conduisent par exemple à considérer qu’un salarié qui totalise par exemple 48 semaines de travail effectif (ou de périodes pleinement assimilées comme un AT/MP ou des congés payés) a acquis 30 jours ouvrables de payés, soit les cinq semaines légales.

Calcul de l’indemnité de congés payés. – Les modalités de calcul de l’indemnité de congés payés dans le cadre de la règle du dixième (c. trav. art. L. 3141-24) seraient complétées pour tenir compte de la nouvelle règle d’acquisition de congés payés durant un arrêt maladie.

La rémunération correspondant aux périodes d’arrêt maladie ne serait prise en compte qu’à hauteur de 80 %. Sans cette précision, il aurait fallu retenir l’intégralité du salarié qu’aurait eu le salarié s’il n’avait pas été malade.

Un mois d’arrêt maladie ouvrant droit à 2 jours ouvrables de CP, soit 80 % de 2,5 jours ouvrables, il serait donc appliqué le même rapport de 80 % pour le calcul de l’indemnité de congés payés.

Exemple simplifié : sur la période d’acquisition de référence, un salarié rémunéré 3 000 € est malade pendant l’équivalent de 4 mois. Le reste du temps, il a travaillé. Il acquiert 28 jours ouvrables de CP (voir exemple plus haut). La base de calcul de l’indemnité pour l’application de la règle du 1/10e serait de (8 × 3 000 €) + (4 × 3 000 € × 80 %) = 33 600 €.

Arrêt pour AT/MP : suppression de la limite d’1 an. – L’amendement modifie l’article L. 3141-5 du code du travail pour lever la limite temporelle à l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

L’acquisition de congés payés ne se ferait plus dans la limite « d’une durée ininterrompue d’un an » mais sur toute la durée de l’arrêt de travail, même si celui-ci excède 12 mois.

Sans changement, le salarié aurait droit à 2,5 jours ouvrables de CP par mois d’arrêt, soit 30 jours ouvrables de CP en cas d’arrêt sur toute l’année de référence (5 semaines de congés payés).

Par conséquent, avec cette nouvelle disposition, un salarié qui serait en arrêt AT/MP pendant 2 ans pourrait acquérir 10 semaines de congés payés, au lieu de 5 semaines de congés actuellement.

Remarque : les salariés en arrêt de travail pour AT/MP sont donc mieux traités que les salariés en arrêt maladie en matière d’acquisition de congés payés. Il en va de même pour le calcul de l’indemnité de congés payés puisque la rémunération que le salarié aurait eue au titre des périodes d’arrêt pour AT/MP est prise en compte à 100 % (c. trav. art. L. 3141-24).

Période de report de 15 mois pour les congés payés acquis non pris en raison d’un arrêt de travail

15 mois au minimum pour « solder » les congés payés non pris. – L’amendement adopté institue une période de report de 15 mois pour prendre les congés payés acquis n’ayant pas pu être posés au cours de leur période « normale » de prise, en raison d’un arrêt de travail qu’il soit d’origine professionnelle (AT/MP) ou non (maladie ou accident de droit commun).

Cette durée de report de 15 mois serait un minimum légal. Elle pourrait être augmentée par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

À l’issue de la période de 15 mois, si le salarié n’a pas pu solder ses congés payés, ils seraient définitivement perdus.

À noter : cette situation vise les congés payés acquis avant l’arrêt de travail, sachant que l’arrêt de travail ouvrirait lui-même des droits à congés payés. À ce sujet, l’amendement règle le cas des congés payés acquis durant un arrêt de travail de longue durée au moyen d’une disposition spécifique (voir plus loin).

Départ de la période de report conditionné à une information de l’employeur. – La période de report de 15 mois ne débuterait qu’à compter du moment où l’employeur informerait le salarié sur ses droits à congés, postérieurement à sa reprise du travail.

En effet, dans un délai de 10 jours suivant la reprise du travail, l’employeur serait tenu d’informer le salarié, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information :

-sur le nombre de jours de congé dont il dispose ;

-sur la date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.

Report des congés payés acquis pendant un arrêt de travail de longue durée

Pour les salariés en arrêt de travail depuis au moins 1 an à la fin de la période d’acquisition des congés payés, les congés payés acquis au titre de cet arrêt pourraient être reportés sur une période de 15 mois également, mais qui débuterait à compter du terme de la période d’acquisition concernée.

La période de report de 15 mois pourrait donc démarrer alors que le salarié est toujours en arrêt de travail, sans attendre la reprise du travail, et elle débuterait dès la fin de la période d’acquisition des droits.

Deux hypothèses sont ensuite envisagées.

❶ Si le salarié reprend le travail avant l’expiration de la période de report de 15 mois, celle-ci serait suspendue jusqu’à ce que l’employeur remplisse son obligation d’information sur les droits à congés payés du salarié et la date jusqu’à laquelle il peut les prendre (voir ci-avant).

❷ En revanche, le salarié perdrait ses droits à congés payés en cas de reprise du travail postérieurement au terme de la période de report de 15 mois.

Autrement dit, en cas d’arrêt de travail se prolongeant ou d’enchaînement d’arrêts de travail, le salarié ne pourrait pas accumuler ad vitam aeternam les droits à congés payés acquis pendant ces arrêts de travail.

Application rétroactive des nouvelles règles à compter du 1er décembre 2009

L’amendement adopté prévoit une application rétroactive, à compter du 1er décembre 2009 :

-de la règle d’acquisition de congés payés durant un arrêt maladie, dans la limite de 2 jours ouvrables par mois et 24 jours ouvrables par an ;

-de la période de report des congés payés de 15 mois.

En revanche, l’amendement ne prévoit pas d’application rétroactive de la suppression de la limite d’1 an pour l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour AT/MP.

À noter : le 1er décembre 2009 est la date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a donné une force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en vertu de laquelle la Cour de cassation a écarté les règles françaises contraires.

Pour revenir à l’acquisition rétroactive de congés payés durant un arrêt maladie, il est précisé qu’elle ne peut conduire à ce que le salarié bénéficie de plus de 24 jours ouvrables de congés payés par année d’acquisition, après prise en compte des jours déjà acquis sur cette période.

Exemple : de juin 2020 à mai 2021, un salarié a été en arrêt maladie durant 4 mois et a travaillé 8 mois. Il a déjà acquis 20 jours ouvrables de CP au titre de son travail effectif (2,5 jours de CP x 8 mois de travail). Il ne pourrait donc réclamer au mieux que 4 jours ouvrables de CP au titre de l’arrêt maladie (et non pas 8 jours, équivalents à 2 jours de CP x 4 mois d’arrêt).

Délai de 2 ans à compter de la loi pour faire valoir en justice ses droits pour le passé

L’amendement adopté prévoit un délai de forclusion de 2 ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la future loi pour les actions en exécution du contrat de travail visant l’octroi de congés payés.

Ainsi, un salarié toujours en poste dans son entreprise qui souhaiterait réclamer à son employeur des droits à congés payés au titre d’arrêt(s) maladie survenu(s) depuis le 1er décembre 2009 aurait 2 ans pour saisir le juge, à compter de la date d’entrée en vigueur de la future loi.

Et pour les salariés qui ne sont plus à l’effectif à l’entrée en vigueur de la loi ?

Pour les salariés qui auraient quitté l’entreprise auprès de laquelle des droits à congés payés pourraient être réclamés pour le passé, l’exposé des motifs de l’amendement indique que ce sont les règles de prescription de droit commun qui s’appliquent, à savoir la prescription des salaires de 3 ans (c. trav. art. L. 3245-1), qui joue pour les actions en paiement d’indemnités compensatrices de congés payés.

Par conséquent, selon le gouvernement, les salariés dont le contrat de travail a été rompu depuis plus de 3 ans à la date d’entrée en vigueur de la future loi ne pourraient pas agir en justice pour obtenir le paiement d’indemnités compensatrices.

Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, amendement n° 44 (art. 32 bis), adopté par l’Assemblée nationale le 18 mars 2024 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0261_texte-adopte-provisoire.pdf